De magistrate à médiatrice : interview de Pascale LOUÉ-WILLIAUME
07/12/2023
Pascale LOUE-WILLIAUME, magistrate en disponibilité, médiatrice partenaire de la Maison de la Communication, évoque, dans cette interview, son parcours professionnel, ses engagements en médiation et son regard sur la politique de l’amiable.

NPJ : Bonjour Pascale. Tu as été magistrate en activité de 1985 à 2022. Tu es désormais en disponibilité. Qu’est-ce qui t’a amenée à décider de quitter la magistrature?

PLW : Le choix de la magistrature a toujours été synonyme d’une profession que j’ai aimée, dans laquelle j’ai trouvé beaucoup de satisfactions, un sens une vie professionnelle riche de rencontres, de projets et de réalisations. Bien sûr, il y a eu des difficultés, voire des revers, mais rien d’insurmontable ou d’irrémédiable.

Cela a changé après la première année de mes fonctions de 1er VP au TJ de Nanterre. Je coordonnais le pôle des urgences civiles et de l’exécution (référé, requêtes, procédures collectives et JEX) et le pôle social (départage prud’homal, contentieux collectifs du travail, de la sécurité sociale et de l’aide sociale). Les conditions d’exercice me sont apparues incompatibles avec notre déontologie et le serment de ce conduire en tout comme un digne magistrat. Ces circonstances ont provoqué la décision en 2020 d’anticiper un projet de reconversion professionnelle

NJP : Tu es devenue médiatrice. Peux-tu nous parler de ta nouvelle profession?

PLW : J’ai demandé une disponibilité pour convenance personnelle à partir du 1er janvier 2022. Ma décision de devenir médiatrice s’est concrétisée en avril 2020 après le premier confinement. Comme pour toute reconversion professionnelle, il est très important de préparer celle-ci et de travailler son projet. J’ai fait la connaissance de deux anciens magistrats qui ont choisi de démissionner ou de prendre une retraite anticipée pour devenir médiateur et/ou avocat et médiateur. D’autre part mes rencontres avec des médiateurs et les structures dans lesquelles ils exerçent ont été aussi très enrichissante pour bâtir et consolider mon projet. Personnellement, je n’ai pas eu de coaching mais un accompagnement de ce type, assez fréquent dans le secteur privé et dans d’autres administrations de l’État, devrait être proposé par la direction des services judiciaires, par exemple dans la suite des entretiens de carrière.

Après avoir suivi fin 2020 et en 2021, la formation diplômante à l’Institut Catholique de Paris dispensée par l’IFOMENE, j’ai obtenu le diplôme de médiateur en 2022. L’ENM propose au titre de la formation continue des formations avec plusieurs organismes afin d’obtenir ce diplôme de médiateur.

Depuis le 1er janvier 2022, je suis auto-entrepreneur en activité libérale en tant que médiatrice. Je suis partenaire de deux structures de médiation l’une située à La Rochelle (la MAISON DE LA COMMUNICATION) et l’autre à Paris (ARMONIE MÉDIATION). Il m’est possible de faire des méditations partout en France sauf sur le ressort de la cour d’appel de Versailles pendant cinq ans à compter de 2022 (incompatibilité d’exercice). Pour le moment c’est sur Paris et sur la région de La Rochelle que j’exerce cette activité. Les domaines dans lesquels je réalise des médiations sont les relations individuelles et collectives du travail (entre salarié.s et employeur, entre CSE et employeur, entre syndicats et employeur), les relations familiales (séparation d’époux et de parents, conflits entre membres d’une famille à propos d’une succession par exemple, droit de visite des grands-parents, etc.), les relations de voisinage (droit de passage, servitudes, tour d’échelle, etc.), les différends en matière de construction (indemnisation suite à expertise) et plus généralement en matière civile.

Actuellement mon activité représente environ un mi-temps par choix.

À côte de la médiation, je m’investis bénévolement dans des associations : en tant que membre de l’association La Courte Échelle créée par notre collègue Youssef Badr actuellement 1er VP adjoint au TJ de Bobigny, du conseil d’administration de l’association de justice restaurative Justice Autrement, créée en septembre 2022. En tant qu’adhérente de l’Association Nationale des Médiateurs (ANM) une des principales associations professionnelles de médiateurs, je participe à un groupe de travail sur la communication et le développement des outils de justice restaurative dans les relations familiales. Je suis membre d’Humanethic, association regroupant des professionnels ayant un code de déontologie.

Je suis à la disposition des collègues magistrats qui souhaiteraient des informations sur une reconversion et/ou sur les associations auxquelles je participe.

NPJ : La médiation et les modes amiables de règlement des différends en général ont le vent en poupe. Récemment un décret consacre l’audience de règlement amiable et la césure du procès en matière civile pour favorises les modes amiables. Quelle est ton opinion au sujet de ces évolutions?

PLW : En France, les modes amiables de règlement des différends sont encore très peu utilisés même si une évolution se manifeste depuis la crise du Covid. Pourquoi ces freins au développement des modes amiables et de la médiation en particulier ? Avec Maître Barbara RÉGENT, avocate au barreau de Paris, nous avons consacré notre mémoire de DU de médiation à ce sujet.

Les professionnels de justice, avocats et magistrats, sont très bien formés essentiellement pour devenir des experts du droit et de la procédure sous leurs aspects du contentieux et du procès.

C’est donc normal que l’immense majorité d’entre eux ne connaissent pas et ne pratiquent pas les modes amiables. Les enseignements à l’université comportent encore très peu les outils de l’amiable (conciliation, médiation, procèdure participative, justice restaurative ou réparatrice, etc.) au cours des premières années, y compris dans l’enseignement d’introduction au droit. Il faut attendre la 4ème année de Master pour voir dispensés des enseignements des MARD à part entière, c’est-à-dire à l’attention exclusivement d’étudiants qui auront déjà choisi cette spécialisation.

À l’issue des États Généraux de la Jsutice, le ministère a, dans son plan d’action, annoncé notamment « une véritable politique de l’amiable ». Ainsi l’offre de justice va tendre à devenir plurielle, comme cela est le cas au Québec, où la légistlation, depuis 2014, consacre ce choix offert aux parties en donnant aux modes amiables une place à part entière. Cela signifie qu’un conflit peut se régler, selon les cas, par une réponse judiciaire et contentieuse, mais aussi partfois par une réponse amiable, judiciaire ou non. Ainsi il y a des situations où il est indispensable que le juge, dans son pouvoir de régulation, dise et applique le droit. Il y en a d’autres où le recours à un mode amiable sera plus approprié, en raison de la véritable problémarituqe, des relations interpersonnelles, des enjeux économiques, sociaux, familiaux, etc. Le juge dispose d’une parlette d’outils à sa disposition : ceux du contentieux que sont le droit et la procédure pour statuer et aussi ceux de l’amiable pour concilier (cf. article 21 du code de procèdure civile) ou proposer la médiation. Désormais s’y ajoute l’audience de règlement amiable (ARA) et la césure du procès, consacrés par un décret du 29 juillet 2023. L’avocat est invité dans son règlement intérieur à rechercher et à conseiller à son client les voies les plus appropriées y compris celles de l’amiable.

Des relations de travail, de voisinage, de famille, entre fournisseurs ou associés qui vont être amenées à se poursuivre. Comment faire pour qu’elles retrouvent, sinon la paix entre les parties, du moins un mode de fonctionnement plus serein et en même temps plus opérationnel et efficace ?

Les modes amiables ne dépossèdent pas les magistrats de leurs prérogatives. Ils ne sont pas une forme de justice au rabais ni de justice privée. Ils doivent être mis en oeuvre de façon adaptée à chaque affaire. C’est une manière de répondre de façon personnalisée et sur mesure à chaque situation.

Désormais, il est indispensable de passer à la vitesse supérieure. Cela implique de former les magistrats aux techniques de communication sur lesquelles reposent la conciliation et la médiation. Grâce à cela, les outils de l’amiable seront vraiement à leur disposition. Savoir qu’une médiation comporte plusieurs étapes successives car c’est un processus et qu’elle obéit à des règles de confidentialité, d’indépendance et de neutralité du médiateur. Connaître les médiateurs et les conciliateurs de son ressort judiciaire et même au-delà. En effet, beaucoup de médiateurs interviennent sur plusieurs zones géographiques voire France entière. Il est possible en effet avec l’accord de tous, de réaliser parfois des médiations en visio-conférence. Cette acculturation et ces connaissances contribueront à donner confiance aux magistrats pour prescrire les modes amiables, enjoindre les parties de rencontrer un médiateur ou tenter de les concilier, voire désormais présider des audiences de règlement amiable. C’est ainsi que les magistrats ont procédé au Québecn le choix leur étant donné ensuite de s’orienter vers les conférences de règlement amiable (CRA) ou de rester dans les fonctions de juge tranchant les litiges selon les règles de droit et de procédure.

NPJ : Les modes amiables sont-ils un des moyens de redonner confiance dans la justice?

PLW : Il est aussi nécessaire d’élaborer avec les barreaux des conventions de développement des modes amiables. Les avocats sont les premiers que les parties viennent consulter avant d’envisager de saisir ou non un tribunal. Ils doivent donc eux aussi êtres acculturés aux modes amiables polus que par quelques brèves heures au cours de leur formation initiale. L’amiable pour un avocat est un modèle économique rentable. Une association récente, Les Avocats De La Paix, en fait la démonstration et la promotion.

Évidemment, pour qu’elle réussisse, cette politique publique de l’amiable doit être accompagnée dans les juridictions et plus généralement dans la société française. Il importe que le ministère de la Justice finance des emplois, des formations et des outils de gestion dédiés à l’amiable.

Je suis convaincue que le développement de cette offre de justice plurielle contribuera à remettre de la confiance dans la justice pour les citoyens mais aussi pour les acteurs judiciaires. Il existe trop de découragement dans cette justice à bout de souffle. C’est une façon pour les magistrats, les fonctionnaires de greffe et les avocats de reprendre confiance dans leurs missions, de trouver le temps indispensable pour traiter dans des délais raisonnables et des conditions décentes, les affaires qui nécessitent une réponse juridictionnelle. La justice, dans sa représentation par la déesse Thémis, a deux jambes musclées et dynamiques. Il nous appartient collectivement, décideurs publics, citoyens et professionnels de justice, de ne pas laisser plus longtemps cette jambe de l’amiable atrophiée mais de faire en sorte qu’elle soit belle et musclé comme celle du contentieux. Cette évolution aidera la justice à retrouver vigueur et dynamisme au service des de nos concitoyens et de la paix sociale.