La médiation des conflits au travail : quel est le cadre juridique aujourd'hui en France ?
11/10/2023
Article de Céline CARRIER, avocate médiatrice en prévention et gestion des conflits et des risques professionnels pour la santé et la sécurité au travail, enquêtes internes (harcèlement) pour entreprise et CSE, médiations organisationnelles : "La médiation au travail, interne à l'entreprise ou à l'organisation, est une médiation conventionnelle, avec un cadre juridique commun à toutes les médiations conventionnelles et des règles particulières, pour les médiations légalement prévues dans les conflits au travail."

1 – le cadre juridique commun à toutes les médiations conventionnelles : un cadre qui définit, sécurise et promeut la résolution amiable des différends mais très peu sollicité dans les conflits au travail.

1.1 – Le livre V du code de procédure civile intitulé « La résolution amiable des différends » définit la médiation conventionnelle (article 1530 du code de procédure civile) comme tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties, qui sont d’accord d’aller en médiation, en dehors de toute procédure judiciaire, pour une résolution amiable de leurs différends, à l’aide d’un tiers choisi[1], qui fait preuve d’impartialité, de compétence, de diligence et d’indépendance[2]. La règle de confidentialité y est également posée (article 1531 du code de procédure civile)[3]. Les conditions propres au médiateur sont également déterminées : il doit justifier d’un bulletin N° 3 du casier judiciaire vierge, et avoir une activité ou une qualification par rapport à la nature du différend ou justifier d’une formation et expérience en médiation (article 1533 du code de procédure civile). Il est prévu la possibilité pour les participants de requérir l’homologation de l’accord de médiation par le juge et de le rendre exécutoire (articles 1534 et 1535 du code de procédure civile), afin de sécuriser les engagements contractuels qu’il contient si nécessaire.

Ces dispositions sont applicables aux différends qui s’élèvent à l’occasion d’un contrat de travail : l’homologation de l’accord de médiation dans ce cas est requise auprès du Conseil des prud’hommes, par le bureau de conciliation et d’orientation ou le bureau de jugement (articles R 1471-1 et R 1471-2 du code du travail).

1.2 – Les limites juridiques de toute médiation sécurisent le processus : de manière générale, le contenu de la médiation doit respecter l’ordre public, la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et l’intégrité physique ou psychologique de la personne. Ce sont aussi les limites légales au principe de confidentialité (article 21-3 de la loi 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative).

1.3 – La clause contractuelle de médiation promeut la résolution amiable des conflits[4] : la clause doit respecter le droit fondamental d’agir en justice issu du droit européen (droit à l’accès libre au juge et à un procès équitable, et à une justice rendue dans un délai raisonnable). Les exigences issues de la jurisprudence vont dans ce sens et obligent à une attention toute particulière lors de la rédaction de la clause contractuelle de médiation. La médiation doit y être inscrite comme une priorité ou une préférence, et non une obligation. Il est vivement conseillé de préciser « si les conditions de médiation sont réunies » et qu’elle résulte de la volonté des deux parties.

En ce sens, en raison de la conciliation préliminaire et obligatoire devant le Conseil des prud’hommes, la clause de contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable, en cas de litige à l’occasion du contrat de travail, n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal[5].

En résumé, le cadre juridique définit et sécurise la médiation conventionnelle, permettant aux organisations et aux entreprises de l’adopter et de l’exploiter facilement dans sa plasticité et de façon confidentielle, en gestion de conflits et aussi en régulation des relations professionnelles internes. Des médiations intra-entreprises ont été rapportées par des médiateurs[6] (cf Arnaud Stimec, Jacques Salzer, Martine Sepiéter qui présente la SNCF comme précurseur en la matière) qui concernent le plus souvent des grandes entreprises ou des grands groupes.

Cependant, la médiation fait l’objet d’un intérêt moindre dans le contentieux (la médiation judiciaire en la matière est ordonnée surtout par la Cour d’Appel)[7] et dans les contrats de travail, alors que le règlement amiable de différend n’a pas vocation à remplacer le règlement judiciaire de conflit mais à le compléter ou à le renouveler, pour un « pluralisme judiciaire » ou une « justice plurielle » à partir de la nécessité de développer une sociologie juridique (Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, 1987)[8].

Il est vrai que le principe de liberté contractuelle intrinsèque à la médiation (libre choix d’aller ou non à l’amiable, libre choix de l’accord ou non, libre choix du médiateur)[9] n’est pas la règle en droit du travail, malgré son évolution depuis 1982 avec les lois Auroux et les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 relatives à la négociation collective, eu égard aux rôles historiques de l’État en la matière et à l’encrage du conflit social au-delà de la lutte des classes[10].

Pourquoi la médiation n’est-elle pas aujourd’hui plus développée que ça, alors que le concept du dialogue au travail et sur le travail, évolue en fait d’un dialogue social institutionnalisé[11], à des espaces plus informels de discussion et d’échanges (Mathieu Detchessahar, 2019[12]), et de retours d’expérience conflictuels (Yves Clot, 2021[13]), et à « des formes contemporaines de la conflictualité dans l’entreprise » (Christian Thuderoz, 2022[14]) ?

Les démarches participatives sont pourtant expressément préconisées par les accords nationaux interprofessionnels signés en matière de stress (2008), de harcèlement et violence (2010), de Qualité de Vie au Travail (2013) et de santé au travail (2020), par les rapports Gollac sur la mesure des facteurs psychosociaux des risques professionnels (2011) toujours d’actualité, et Lecocq « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » (2018), par les plans Santé au Travail 3 (2016-2020) et 4 (2021/2025), par la loi n° 2021-1018 du 02 août 2021 qui vient renforcer et étendre « une culture de prévention primaire au sein des entreprises», et la loi n° 2021-1458 du 08 novembre 2021 autorisant la ratification de la convention n°190 de l’Organisation Internationale du Travail de 2019 relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail.

2 – Le cadre juridique des médiations particulières aux conflits au travail : la médiation n’est légalement prévue que dans trois cas de conflits au travail, des règles particulières qui confirment que la médiation est exceptionnelle, volontaire et non obligatoire.

2.1 – Dans les conflits collectifs (articles L2511-1 à L2525-2 du code du travail)[15], la médiation est institutionnalisée avec une certaine confusion entre conciliation, négociation et médiation dans le processus et sa spécificité l’éloigne de la définition commune. Le médiateur y a en effet un pouvoir d’investigation et de proposition, sanctionné et il a le devoir de rapporter dans son intégralité les propositions faites et les positions des parties.

La médiation médiatisée des transports publics marseillais de fin 2005, pour laquelle Monsieur Bernard Brunhes, expert en médiation spécialiste en dialogue social, a été nommé médiateur par le gouvernement, en est l’exemple parfait. Après avoir écouté les différents acteurs du conflit, Monsieur Bernard Brunhes, a soumis deux propositions qui n’ont pas été retenues[16] . Il s’est retiré en conséquence.

Deux autres médiations très médiatisées de 1982, de chez Citroën d’Aulnay sous Bois et de chez Talbot à Poissy, pour lesquelles a été nommé Monsieur Jean-Jacques Dupeyroux, Professeur de Droit spécialiste de la sécurité sociale, par le Ministre Jean Auroux, sont très intéressantes et enseignent sur divers points (innovation du médiateur, rappel de l’importance de l’histoire des entreprises en termes de vécu partagé, nécessité de la confidentialité et de l’impartialité de la médiation notamment par rapport à l’État qui est le plus souvent partie à ces médiations ou le médiateur lui-même).

2.2 – La dernière création en date est la fonction de médiation de l’Arpe (Autorité des relations sociales des plateformes de l’emploi) pour les règlements de conflits en matière de dialogue social entre plateformes et travailleurs indépendants (articles L 7345-7 et suivants du code du travail par l’ordonnance 2022-492 du 6 avril 2022 sur l’organisation du dialogue social sur les plateformes de mobilité).

2.3 – Dans le cadre du harcèlement moral (articles L1152-1 à L1152-6 du code du travail), la médiation est fondée sur le volontariat (à l’initiative de la personne s’estimant victime ou mise en cause), l’accord des parties sur le choix du médiateur, l’exclusion de l’employeur, et le rappel à la loi (sanctions et « garanties procédurales ») s’il n’y a pas d’accord.

Eu égard aux risques psychosociaux, aux obligations légales de l’employeur[17] et aux dispositions spéciales du droit d’alerte (articles L 4131-1 à L 4132-5 du code du travail), compétence, vigilance et clairvoyance doit avoir le médiateur entre les problématiques de harcèlement moral qui peuvent faire l’objet de médiation, et le harcèlement avéré qui est un délit (article 222-33-2 du code pénal) et doit juridiquement faire l’objet de sanction disciplinaire.

A ce jour, la médiation n’est pas obligatoire. Dernièrement la France a ratifié la convention n°190 de l’OIT relative à la lutte contre la violence et le harcèlement au travail, en violation des droits humains, qui entrera en vigueur pour la France le 12 avril 2024[18].

Le deviendra-t-elle un jour ? En tout état de cause, il a été jugé dernièrement que la médiation ne suffit pas à elle seule à assurer l’effectivité de l’obligation de l’employeur en sécurité et santé des travailleurs[19], la médiation doit être complémentaire aux mesures de prévention des risques professionnels pour la santé et la sécurité au travail (actions de prévention des risques professionnels, actions d’information et de formation en santé et sécurité au travail, actions de mise en place d’une organisation et des moyens adaptés).

A ce jour, ni la forme des enquêtes internes en la matière ni celle de la médiation n’est imposée.

Exemples de médiations conventionnelles sur des problématiques de harcèlement :

Entre une collaboratrice, déléguée syndicale et une directrice d’agence, une médiation a été requise par l’employeur, sur les conseils de son avocat, et acceptée par les deux salariées. Un signalement de harcèlement avait été fait à la médecine du travail, et à l’inspection du travail. Une tentative de rupture conventionnelle avait échoué. Une mauvaise communication interne et relationnelle a été identifiée par les participantes elles-mêmes. Un travail émotionnel sur la colère et un travail sur la communication non-violente et l’écoute active ont été proposés en entretiens individuels. Un travail coopératif a été réalisé en réunions plénières sur un besoin commun, identifié et défini comme étant la bienveillance au travail, et les actions faisables pour améliorer la communication interne et le fonctionnement du comité social et économique, à partir de la définition de la bienveillance au travail.

Entre un collaborateur et son manager, une médiation a été requise par la DRH, et acceptée par les deux salariés. Un signalement de harcèlement avait été fait à la médecine du travail. Une mauvaise communication interne et relationnelle a été identifiée par les participants eux-mêmes également. Un travail émotionnel et un travail sur la communication non-violente et l’écoute active ont été proposés en entretiens individuels. Un travail coopératif a été réalisé en réunions plénières sur les valeurs communes (identifiées et définies comme étant la sincérité, le respect, et la confiance) et les actions faisables pour améliorer la communication interne à partir de ces valeurs.

Dans les deux médiations, un accord de médiation a été élaboré et signé par les participants, centré sur les actions faisables en communication interne, et les conditions et l’organisation de travail, avec l’objectif exprimé et entendu de poursuivre les relations professionnelles ensemble.

En conclusion, malgré l’existence des procédures prévues permettant le recours à la médiation au travail, elle reste peu utilisée dans le cadre judiciaire et peu développée dans les organisations, alors qu’un communiqué de presse de l’observatoire du coût des conflits des cabinets topics, All Leaders Initiative et OpinionWay du 18 novembre 2021[20] révèle que les conflits au travail sont une perte d’argent, de temps et d’énergie représentant un mois de perdu par an pour 152 milliards d’euros pour les 2/3 de salariés avec en conséquences, désorganisation du service et de l’activité du salarié, et insécurité psychologique.

La DARES[21] publie régulièrement des rapports sur la conflictualité au travail comme celui de mai 2021 qui rapporte que 60% des salariés actifs déclarent être exposés à des conflits de valeurs. Le rapport d’août 2021 rapporte déjà une insécurité socio-économique en 2019 (peur de perdre son emploi ou d’être muté) associée à des rapports sociaux plus conflictuels (25% au lieu de 20%) et des tensions avec son supérieur hiérarchique (presque doublées de 21% à 38%). Le rapport de septembre 2021 n°8 comporte un projet et un rapport complet du Centre de sociologie des organisations, sur les tensions et les conflits au travail dans les établissements français depuis les années 2000 (conflictualité collective/individuelle).

[1] Le libre choix du médiateur sur l’accord des parties s’impose au juge : arrêt Chambre sociale Cour de Cassation 5 avril 2023 pourvoi n° 21625.323.

[2] Article 21-2 loi 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, dans sa version en vigueur depuis 2022 (Loi 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire).

[3] Arrêt du 09 juin 2022 Cour de Cassation 2ème chambre civile pourvoi n° 19-21.798 : la confidentialité du contenu de la médiation est un principe de droit procédural et pas seulement une obligation contractuelle. L’atteinte n’est pas soumise à la preuve d’un grief. La confidentialité en médiation rejoint la consécration du principe fondamental du contradictoire en procédure.

[4] Conformément au principe de survie des clauses de règlement de différend à la résolution contractuelle en droit des contrats (article 1230 code civil).

[5] Article L 1411-1 du code du travail et avis Cour de Cassation Chambre sociale du 14 juin 2022 pourvoi n° 22-70.004.

[6] RONGEAT-OUDIN Federica, ROULET Vincent et OUDIN Martin, L’essor de LA MEDIATION EN ENTREPRISE, éditions Médias&Médiations, France 2014, 119 pages.
BENHARDA Imen (sous la direction de), l’art de pacifier nos conflits, de la négociation à la médiation, éditions Erès collection trajets, France 2022, 354 pages.

[7] Le rapport Sauvé du 08 juillet 2022 remis au Président de la République, suite aux États Généraux de la justice tenus d’octobre 2021 à avril 2022 « Rendre justice aux citoyens », maintient de ne pas généraliser la tentative préalable des modes amiables de règlement des différends (MARD) devant le Conseil des prud’hommes.

[8] BONAFE-SCHMITT Jean-Pierre, « La part et le rôle joués par les modes informels de règlement des litiges dans le développement d’un pluralisme judiciaire » (étude comparative France-USA) Droit et Société année 1987 p 263-283 Persée https://www.persee.f/doc/dreso_0769-3362_1987_num_6_1_960

[9] DUMAS Romain, « Les MARD au prisme des droits fondamentaux substantiels », RDLF 2018 chron. n° 01 revue des droits et libertés fondamentaux https://revuedlf.com/droit-fondamentaux/les-mard-modes-alternatifs-de-resolution-des-differends-au-prisme-des-droits-fondamentaux-substantiels/

[10] GROUX Guy, Vers un renouveau du conflit social ?, Bayard Editions SOCIETE 1998, 248 pages.

[11] Avec la négociation collective dans le dialogue social, la représentativité exclusive des salariés par les syndicats, et les outils du CSE et de la CSSCT, qui professionnalisent en quelque sorte la négociation intra-entreprise même si l’adhésion aux syndicats est relativement faible en France (environ 8%).

[12] Anact « L’entreprise libérée » cas, ressources, synthèse documentaire (2015) https://www.anact.fr
DETCHESSAHAR Mathieu, L’entreprise délibérée Refonder le management par le dialogue, éditions Nouvelle Cité, 2019, 290 pages

[13] CLOT Yves, BONNEFOND Jean-Yves, BONNEMAIN Antoine et ZITTOUN Mylène, Le prix du travail bien fait La coopération conflictuelle dans les organisations, éditions la découverte, France 2021, 221 pages
[14] THUDEROZ Christian dans l’art de pacifier nos conflits, de la négociation à la médiation, éditions erès collection trajets, France 2022, pages 77 à 88.

[15] Dont la version actuelle date du 1er janvier 2020 (Décret 85-95 du 22 janvier 1985 modifié par le Décret 2019-1379 du 18 décembre 2019).

[16] « Bernard Brunhes, l’homme-orchestre du social » Le monde 02 novembre 2005 ; « RTM : Les traminots marseillais s’apprêtent à reconduire la grève. Les propositions du médiateur, Bernard Brunhes, ne les ont pas convaincus » Le monde 03 novembre 2005 www.lemonde.fr

[17] Il est de jurisprudence constante que l’employeur est tenu, en matière de harcèlement, par les deux obligations bien distinctes (prévenir les agissements de harcèlement moral d’une part, et d’autre part assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L4121-1 du code du travail) et qu’il est obligé d’effectuer une enquête interne lui permettant d’avoir connaissance de la réalité de la situation, et d’établir les faits et de prendre les mesures appropriées.

[18] Par la loi n° 2021-1458 du 08 novembre 2021 autorisant la ratification de la convention n°190 de l’OIT de 2019 relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, la France s’y est engagée. La France reconnait alors expressément le lien de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, avec la santé psychique, physique et sexuelle du travailleur, la qualité des services et le marché du travail, la promotion d’entreprises durables, et les conditions et l’organisation de travail.

[19] Arrêt en ce sens de la Cour d’Appel de Paris, pôle 6, chambre 5, du 18 mars 2021 n°19/04458.

[20] TOPICS CONSEIL Communiqué de presse 18 novembre 2021 « Les petites tensions et les fortes confrontations qui se déroulent chaque jour en entreprise coûtent l’équivalent d’un mois de travail par an, soit plus de 152 milliards € / an de coût salarial à l’échelle française. » : sondage réalisé entre le 2 et 20 septembre 2021 en ligne auprès d’un échantillon de 974 salariés français dans le public et le privé https://www.topicsconseil.com/wp-content/uploads/2021/12/211117-CP-Observatoire-du-Cout-des-Conflits-VF.pdf

[21] Service statistique ministériel, Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des statistiques https://dares.travail-emploi.gouv.fr